Les Musiciens et la Grande Guerre : une aventure musicale internationale #Focus
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Dans le cadre de sa politique de soutien aux projets culturels et patrimoniaux, la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA) a apporté depuis 2014 et pendant près de 6 années, son soutien à Hortus Editions pour la publication de la collection "Les musiciens et la Grande Guerre" regroupant 36 disques. Appuyée depuis sa création par la DPMA, labellisée par la Mission du Centenaire en 2014, cette collection constitue un corpus patrimonial, diversifié et cohérent de plus de 200 œuvres musicales dont près de 40 inédites. D’une qualité musicale et émotionnelle rares, ces dernières ont été écrites par plus de 120 compositeurs de 12 nationalités différentes. Ces pièces mettent en évidence l’intensité de la création pendant cette période, son importance dans notre histoire culturelle et musicale, symbolisant aussi la métamorphose d'un monde en train de s’éteindre et un nouveau qui se dévoile.
Didier Maes, administrateur de Hortus Editions, et Philippe d’Anchald, directeur éditorial de la collection « Les musiciens et la Grande Guerre » partagent avec nous l’origine du projet.
Pouvez-vous nous expliquer la genèse de la collection "Les musiciens et la Grande Guerre"?
Didier Maes (DM) : Elle s’explique sous un double éclairage. D’une part, celui de notre propre situation : il s’agit là du constat d’un effet de génération. Tout d’abord, nous est apparue l’idée qu’il nous était encore possible de raviver le souvenir de nos grands et arrières grands-parents avec les archives et souvenirs que leurs enfants avaient reçus en héritage ; de rassembler des pièces demeurées oubliées, ou négligées parce que la disparition de leur créateur n’avait pas permis leur diffusion ; la volonté d’investiguer ce qui pouvait s’écrire, se jouer, s’écouter comme musique pendant le conflit, au front mais aussi à l’arrière.
D’autre part, nous avons voulu faire écouter ou réécouter au public quelle musique était pratiquée dans les nations belligérantes, de 1913 à 1921. Le propre de la musique n’est-il pas de réunir l’humanité avec un même langage ? N’offre-t-elle pas à tout à chacun la possibilité d’exercer sa faculté d’écoute, d’émotion et de partage ? Aujourd’hui, grâce à la diffusion de la musique nous sommes familiers de l’idée qu’il existe des tranches musicales témoins d’une période : la musique des années 60, 70, 80 etc… Cette thématisation a été largement construite après la Seconde Guerre mondiale, sous le double effet du développement de l’histoire (et de la musicologie) qui a cherché à faire loupe sur tel ou tel aspect social, culturel ou anthropologique sur une courte période donnée, mais aussi des medias avec la radio et la télédiffusion des œuvres qui ont popularisé de telles rétrospectives. Mais, qui se souvient que pour la première fois au monde, en mai 1914, en Belgique, à Laeken, dans un château du roi Albert Ier une radio diffuse des émissions de manière régulière et en particulier des concerts.
Il vient plus rapidement à l’esprit que la musique était écoutable sur quelques rares phonogrammes. Les prémisses d’une diffusion mécanique ou hertzienne de la musique étaient donc présents ou en germe pendant la Première Guerre mondiale : mais quelle musique habitait les musiciens, émouvait les auditeurs ? Par quels mécanismes de circulation, d’appropriation ?
Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans ce projet sur la longue durée?
DM : Cette guerre a été la première à être considérée comme mondiale, à avoir connu autant de massacres, laissé autant de séquelles. Ainsi, nombreuses ont été les nations engagées lors du conflit à prendre part à la commémoration de ce centenaire. C’est assez unique dans l’histoire des commémorations d’avoir autant de parties prenantes pour faire mémoire d’un même événement, en particulier avec la volonté de redécouvrir ou de recréer les œuvres de la période considérée. Avec la collection, nous avons eu la chance de fédérer plusieurs institutions à l’étranger (radios, conservatoire de musique, musées, agences gouvernementales spécialement créées pour le centenaire). Dans le cadre d’un devoir de mémoire et dans l’idée que la musique est un langage universel, qui peut favoriser la paix et la réconciliation, il a été assez aisé de convaincre nos partenaires de s’associer à l’aventure, et ce dès lors que les partenaires qui nous ont soutenu, ont donné à notre démarche une visibilité et une autorité accrues.
Comment s'est opéré le choix des œuvres musicales présentes sur les disques?
Philippe d’Anchald (PDA) : L’idée de départ revient à Didier Maes, qui dès 2012, a eu l’intuition qu’il serait intéressant et utile de proposer une anthologie d’œuvres écrites pendant le conflit. Cependant, il apparaissait que l’intérêt se portait alors essentiellement sur la littérature, la photo, tandis que curieusement la musique semblait oubliée… Didier m’a alors proposé de regarder ce que nous pourrions envisager pour pallier cette lacune. Rapidement, je lui ai signifié que nous ne pourrions pas composer un tableau cohérent avec moins d’une vingtaine d’heures d’enregistrements. Il a courageusement accepté de se lancer dans l’aventure et nous en sommes aujourd’hui presque au double de cette durée. Notre démarche était peut-être en avance sur son temps, plus ou moins à notre insu. Dès 2013, elle a suscité un vif intérêt partout dans le monde grâce au streaming alors que les disquaires ne savaient pas toujours où ni comment présenter la collection, ce qui à l’époque nous désolait eu égard à tout le travail d’édition accompli par nos auteurs et notre iconographe. Avec le streaming, seule la musique est écoutée, le livret et le visuel du disque sont soit jamais consultés soit quasi ignorés.
Aussi, depuis le début du confinement, nous constatons une envolée nouvelle de l’écoute en streaming de la collection. En partenariat avec Qobuz, Hortus Editions a décidé d’offrir gratuitement en téléchargement le volume XXIV "Commémoration fraternelle", le grand oratorio d’Alexandre Kastalsky écrit en mémoire des soldats russes et de leurs alliés tombés au champ de bataille, enregistré par des artistes allemands, autrichiens et russes à la Philharmonie de Moscou et par Sylvain Heili à l’orgue de la collégiale Saint-Pierre de Douai.
Au sein de la collection figurent de nombreuses oeuvres inédites ou méconnues, comment les avez-vous repérées?
PDA : N’étant ni musicien ni musicologue, je suis parti d’une page blanche. Quelques lectures d’ouvrages dont celui de Dominique Huybrechts « 1914-1918 : Musiciens des tranchées » ont commencé à me fournir des pistes, les recherches à La Bibliothèque Nationale de France comme celles sur internet ont rapidement enrichi ma liste d’œuvres. En outre, au fur et à mesure, les descendants des compositeurs engagés ou disparus au front nous ont rejoints. La commémoration du centenaire a créé un effet de cristallisation des énergies.
Dans un deuxième temps, il a fallu trouver et réunir les partitions, souvent manuscrites, puis composer des programmes cohérents. Pour des raisons pratiques, nous avons adopté une approche par instrumentarium. Très souvent, le choix final a été effectué en accord avec les artistes retenus en fonction de leur propre goût et talent. Toutefois, nous n’avons pas pu présenter toutes les combinaisons instrumentales de l’époque : il nous reste des regrets notamment pour les très grosses formations réunissant orchestres symphoniques et chœur ou orgue.
Le ministère des Armées par l'intermédiaire de la DPMA a apporté son soutien à la publication de cette collection dès son origine et pendant 5 ans. En quoi cette aide a-t-il été importante?
DM : Sans l’aide de la DPMA, le soutien de tous les acteurs impliqués n’aurait jamais été aussi constant, ce qui aurait condamné le principe, voire même l’existence d’une collection. Probablement aurait-il été impossible de suivre la création en écho au fil du temps du conflit, dans plusieurs pays, avec des artistes français et internationaux, sur un répertoire globalement méconnu et avec des enregistrements réalisés aussi bien à Los Angeles qu’à Moscou ou Hanovre. Il est aussi évident que l’ombrelle de la DPMA nous a ouvert des portes. Nous avons ainsi eu la chance d’avoir dès le lancement de la collection un partenariat iconographique avec La Contemporaine (ex BDIC). Nous avons aussi reçu un réel épaulement de la saison musicale du musée de l’Armée qui a accueilli nombre des artistes de notre collection. L’étroite collaboration avec le Mémorial de Verdun, qui dès sa réouverture, a tenu à programmer tous les ans des concerts en partenariat avec notre association a été très importante. Nous avons ainsi fait découvrir au public certaines œuvres que nous n’avions malheureusement pas pu graver. Concernant les aspects financiers, outre la DPMA, il nous faut remercier vivement la région Auvergne-Rhône-Alpes et les sociétés civiles (Adami, Scpp) qui ont aidé à la réalisation de très nombreux disques, et sans lesquelles la collection n’aurait jamais eu une telle envergure. Je tiens aussi à saluer le soutien de toutes les institutions publiques ou privées et toutes les personnes, bénévoles ou donatrices de nos associations, en France ou à l’étranger, qui ont apporté un concours déterminant pour la constitution de notre collection.
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Publié le 16 avril 2020