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Portrait de Agathe Couderc, lauréate du Prix d'histoire militaire 2023 de la catégorie thèse financé par le ministère des Armées #interview 1

Portrait de Agathe Couderc, lauréate du Prix d'histoire militaire 2023 ©Dircom Cnam ©L.Benoit.

Du 3 mai au 28 juin 2024, Campagne de candidatures pour le Prix d'histoire militaire 2024

À l’occasion de la campagne pour le Prix d’histoire militaire 2024, le ministère des Armées a rencontré Madame Agathe Couderc, lauréate du Prix d’histoire militaire de l’édition 2023 pour sa thèse intitulée « Sous le sceau du secret. Les coopérations internationales des Chiffres britannique et français, militaires et navals pendant la Première Guerre mondiale » sous la direction de Monsieur Olivier Forcade à Sorbonne Université.

 

1.Pouvez-vous présenter votre parcours académique ?

J’ai commencé mes études supérieures en classe préparatoire littéraire au lycée Fénelon (Paris 6e), en m’y spécialisant en histoire-géographie. Après trois ans en classe préparatoire prépa, j’ai validé une licence d’histoire et une licence de géographie, et je me suis orientée vers un master d’histoire transpériode, parcours recherche, à Paris-IV (Paris-Sorbonne), le master « Armées, Guerres et Sécurité dans les sociétés de l’Antiquité jusqu’à nos jours ». Je m'y suis spécialisée dans l’histoire militaire et plus particulièrement l’histoire du renseignement militaire, en réalisant un mémoire de recherche sous la direction du professeur Olivier Forcade. Par la suite, j’ai passé les concours de l’enseignement secondaire (Capes d’histoire-géographie et Agrégation d’histoire) et, après mon année de stage d’agrégation en 2017/2018 dans un lycée de Courbevoie, j’ai débuté un doctorat en histoire des relations internationales. Ma thèse a été financée par un contrat doctoral de l’École doctorale 188 (Histoire moderne et contemporaine) puis pour les derniers mois par un contrat d’ATER auprès de l’UFR d’Histoire de Sorbonne Université et du Laboratoire SIRICE (Sorbonne - Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe, ou UMR 8138). Après quatre ans et quelques mois de travail, j'ai soutenu ma thèse en décembre 2022, et les retours des membres du jury ont été très enthousiastes. Depuis, je fais partie des rares chanceux qui ont réussi à décrocher un poste d’enseignante-chercheuse dans l’enseignement supérieur et la recherche, puisque j’ai été recrutée par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) en tant que maîtresse de conférences en Renseignement (section 22 - Histoire moderne et contemporaine) à compter du 31 décembre 2023.

 

2.Comment avez-vous été amenée à choisir comme thématique de recherche le renseignement pendant la Première Guerre mondiale ? Le fait que cette thématique ait été jusqu’ici peu explorée et investiguée a-t-il renforcé votre intérêt ?

Mon intérêt pour le renseignement remonte à l’enfance, lorsque je dévorais des romans d’espionnage et que je parcourais les brocantes pour trouver un opus de la collection Langelot (série de la bibliothèque verte) que je n’avais pas encore lu. À la fin de la classe préparatoire, en me renseignant sur les directeurs de recherche du master de Paris-IV, et en découvrant les recherches du professeur Forcade, j’ai compris que l’objet de mes fascinations d’enfant pouvait être un objet de recherche sérieux. C’est donc pleine d'enthousiasme que je suis entrée en contact avec lui. Après avoir lu pendant l’été 2012 l’ouvrage pionnier du regretté David Kahn (The Codebreakers), je voulais faire l’histoire de la cryptologie en Europe, de 1914 à 1945, ce qui était absolument impossible à mener en une seule année. Sur les conseils avisés d'Olivier Forcade, j’ai finalement resserré le sujet, pour étudier un service assez peu exploré : celui du Chiffre (spécialisé dans les codes secrets) du ministère de la Guerre pendant la Première Guerre mondiale. Il y avait à l’époque un seul ouvrage à ce sujet, celui de Sophie de Lastours (La France gagne la guerre des codes secrets), et un certain nombre de questions restaient sans réponse, ce qui m’a effectivement motivée à creuser toujours plus. Après avoir clarifié le fonctionnement de ce service et les quelques coopérations cryptologiques tissées avec les alliés (mais de façon assez superficielle, avec le recul) en M1, je me suis intéressée plus particulièrement au Chiffre de la Marine à la même période en M2, qui n’avait jamais attiré l’attention des chercheurs en histoire. Le Centenaire de la Grande Guerre m’a permis de communiquer dès le master sur mes recherches, et l'insertion dans ce dynamisme historiographique alors que je débutais tout juste a été particulièrement grisant. Je n’avais pas conscience, en 2012-2014, de m’inscrire dans un champ de recherches (l’histoire du renseignement) qui se développait depuis une petite vingtaine d’années, mais j’étais toutefois consciente d’avancer parfois en terra incognita pour ce qui relevait de mes objets de recherche. Une fois en doctorat, c’était bien plus activement que je me suis insérée dans les études de renseignement, qui ne cessent de se structurer et de prendre de l'ampleur, comme mon poste au Cnam (le premier poste en "Renseignement" de France) le démontre d’ailleurs ! Le renseignement est un sujet qui a tendance à fasciner le grand public, avec cet attrait qu’ont les secrets et les éléments cachés : ce domaine, dont de larges pans sont encore à découvrir, est également tout à fait passionnant pour les chercheurs et chercheuses qui s’y intéressent.

 

3.Comment avez-vous mené vos recherches dans les archives ? Vous êtes-vous appuyée sur des fonds d’archives issus des services d’archives du ministère des Armées ? Votre focalisation sur les coopérations internationales des Chiffres britanniques et français et leur comparaison vous ont-t-elles amenée à vous tourner du côté des archives britanniques ?

Ma thèse (portant sur les services du Chiffre français et britanniques, militaires et navals, pendant la Première Guerre mondiale) avait deux axes principaux : un axe comparatif pour mettre en regard les structurations nationales de ces services et tâcher d’identifier un modèle-type de service ou un profil-type de recrue ; un axe plus transversal pour éclairer les coopérations internationales et les échanges de renseignements entre les membres de l’Entente cordiale et leurs autres alliés. Pour garantir une thèse équilibrée et sans biais en termes de points de vue, l'objectif était donc de mobiliser autant d’archives françaises que d’archives britanniques. À ce titre, en France, je suis allée consulter les archives du Service historique de la Défense à Vincennes, et les archives de l’Espace Ferrié-Musée des Transmissions à Rennes. Ce sont des fonds que je connaissais déjà depuis le master, mais que l’orientation internationale de ma thèse m’a amenée à fouiller de nouveau. Pour couvrir le pan britannique, je me suis effectivement rendue à Londres pour consulter les fonds de l’Amirauté et du War Office britanniques aux National Archives de Kew, ainsi que des fonds privés au National Army Museum. Réalisant ces recherches en temps de pandémie, j’ai également eu la possibilité d’obtenir des numérisations des cartons d’archives m’intéressant au Churchill Archives Center de Cambridge, qui avait des fonds privés précieux pour comprendre les profils recrutés par ces services. Enfin, et c’était assez improbable et inespéré, par l’intermédiaire d’un chercheur britannique avec qui je partageais des intérêts communs, j’ai également pu obtenir la communication de quelques scans de documents conservés dans les archives du GCHQ (Government Communications Headquarters, service de renseignement britannique spécialisé dans le SIGINT, ou le renseignement d’origine électromagnétique), qui est le descendant des services que j’étudiais !

 

4. À quels types d’obstacles avec-vous été confrontée pour mener vos recherches ?

Comme l’ensemble des doctorants et doctorantes qui préparaient leur thèse dans les années 2020-2021, j’ai été freinée par la pandémie de Covid-19, tant en termes d’accès aux archives et aux bibliothèques, qu’en termes de mobilité hors de France. Ainsi, alors que j’étais en pleine phase de recherches, j’ai dû retarder de plus d’un an mon second séjour à Londres, que j’ai pu réaliser à la toute fin de ma 3e année de doctorat. Naturellement, outre le climat anxiogène qui régnait à cette période, cette situation a produit quelques inquiétudes (notamment administratives) sur la possibilité d’achever ma thèse dans le délai que j’avais prévu et dans de bonnes conditions. Fort heureusement, Sorbonne Université a accepté de prolonger mon contrat doctoral d’une année supplémentaire, et j’ai pu terminer la thèse sereinement, sans devoir me lancer dans la course aux ATER (postes d’Assistant Temporaire d’Enseignement et de Recherche, CDD d’un an, servant souvent à financer la fin de la thèse mais étant bien plus prenant en termes de charge d'enseignement). Ceci est un exemple parmi tant d’autres de l’importance pour les jeunes chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales d'obtenir un contrat doctoral, assorti ou non d’une charge d’enseignement, pour mener sa thèse en étant plus tranquille que s’il fallait travailler à côté.

Travaillant sur le renseignement et les enjeux de sécurité et de défense, j’ai également suivi avec attention les débats des dernières années relatifs à l’IGI 1300 (Instruction générale interministérielle n°1300, voir notamment à ce sujet la tribune sur le secret défense écrite par Olivier Forcade, Sébastien-Yves Laurent et Bertrand Warusfel et parue dans la revue Esprit en juin 2021). Ma documentation de thèse n’était certes pas menacée par la restriction d’accès aux archives classifiées, puisqu’elle avait en général plus de cent ans lorsque j’ai réalisé mon doctorat, mais ce sont des éléments qui influent sur les développements possibles de la recherche au sein des études de renseignement, et sur les pistes qu’on pourrait vouloir poursuivre.

 

5.Quels sont vos futurs projets en termes de recherches ? Quelles sont les opportunités ouvertes par l’obtention du Prix d’histoire militaire (qui vous a été remis en décembre 2023) ?

Recrutée en tant que maîtresse de conférences en Renseignement au Cnam depuis le 31 décembre 2023, ma prise de poste est pour l’heure intense et passionnante, si bien que le projet de publication de ma thèse a été mis en suspens depuis quelques mois. J'ai toutefois commencé à la relire avec un œil neuf : le recul depuis la soutenance me permet d’avoir un regard critique et constructif, en songeant à un tout autre public que le jury de spécialistes qui avait été réuni pour ma soutenance, à savoir le grand public. Le Prix d’histoire militaire est évidemment un argument attestant du sérieux du travail défendu, que je pourrais utiliser lorsqu’il s’agira d’entrer en contact avec les éditeurs d’histoire grand public, habitués à travailler avec le ministère des Armées, mais aussi lorsqu’il s’agira d’en faire la promotion en librairie ou dans les médias. C’est, et je le répète ici, un grand honneur de l’avoir obtenu. En parallèle, l’accompagnement proposé par la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) du ministère des Armées en vue de la publication de ma thèse sera également précieux et c’est un de mes projets pour le printemps que de répondre favorablement à cette main tendue.

En parallèle, j’ai élargi mon champ de recherches au-delà de la Première Guerre mondiale, m’intéressant par exemple aux activités du renseignement français vis-à-vis des processus de réarmement naval avant 1914 (article à paraître dans la revue Stratégique, qui publiera les actes de la journée d’histoire navale où j’ai présenté ces travaux). L’environnement interdisciplinaire du Cnam et de l’équipe de recherche que j’ai intégrée, à savoir l’Équipe Sécurité Défense - Renseignement, Criminologie, Crises, Cybermenaces (ESDR3C), permet d’élaborer des objets d’étude qui dépassent mes seules compétences historiques. Cela rend dès lors possible une approche des mondes du renseignement bien plus actuelle que celle que j’ai produite avec ma thèse, notamment en transposant certains de mes objets d’études (à la fois l’instauration de principes garantissant le secret et les coopérations internationales entre services de renseignement) au début du XXIe siècle, pour en apprécier l'évolution.

 

Campagne 2024 du Prix d’histoire militaire

 

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Rattachée au secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées, la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) a pour mission d’entretenir le lien avec le monde la recherche historique et d’assurer sa cohérence au sein du ministère des Armées. Elle assure aussi le secrétariat du conseil scientifique de la recherche historique de la défense (CSRHD) qui attribue annuellement des aides à la recherche à l’attention de doctorants et le Prix d’histoire militaire (master 2 et doctorat).


Publié le 30 mai 2024.

Portrait de Agathe Couderc, lauréate du Prix d'histoire militaire 2023 ©Dircom Cnam ©L.Benoit.