Portrait d'Olivier Aranda, lauréat du Prix d'histoire militaire 2024 de la catégorie thèse financé par le ministère des Armées #interview 1
Du 28 avril au 27 juin 2025, campagne de candidature pour le Prix d'histoire militaire 2025
À l’occasion de la campagne pour le Prix d’histoire militaire 2025, le ministère des Armées a rencontré Monsieur Olivier Aranda, lauréate du Prix d’histoire militaire de l’édition 2024 pour sa thèse intitulée « La marine de la République à Brest et dans l’Atlantique : 1792-1799 direction politique, stratégie, opérations » sous la direction de Monsieur Pierre Serna et de Monsieur Pierrick Pourchasse à Sorbonne Université.
1-Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et universitaire, ainsi que les raisons qui vous ont conduit à faire de la marine de la République à Brest et dans l’Atlantique votre thème de recherche ?
J'ai toujours été passionné par l'Histoire et je me suis donc dirigé vers un master recherche dans ce domaine, après un passage en classe préparatoire littéraire à Paris. C'est à ce moment là que je me suis demandé sur quel sujet je souhaitais me spécialiser. Rien ne me destinait, a priori, à me tourner vers la mer car je n'ai pas de lien familiaux ou géographiques avec les espaces maritimes, ayant grandi à Tours. Néanmoins, des lectures comme l'Épervier de Pellerin ou les romans de marine de Patrick O'Brian avaient nourri mon imaginaire. D'un point de vue scientifique, j'ai pensé que cette période peu travaillée pouvait être riche de problématiques : pourquoi les succès spectaculaires de l'armée de terre et pas de la marine ? Comment penser la subordination militaire et plus spécifiquement navale au beau milieu d'une révolution ? En conséquence, j'ai rédigé un mémoire de master sur la bataille navale dite de Prairial, 1er juin 1794, à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, sous la direction de Pierre Serna. Puis, après avoir obtenu l'agrégation d'Histoire et réalisé une année de stage d'enseignement dans le secondaire, j'ai poursuivi et amplifié considérablement ces recherches en me lançant dans cette thèse. Celle-ci a été financée par l'Université Paris 1, mais j'ai aussi été soutenu très fortement par le Ministère des Armées, avec une allocation de thèse, ainsi que par la fondation de la Mer ou encore la Fondation des Treilles. Par la suite, j'ai travaillé un an comme chargé de recherches au sein du Ministère, au Service historique de la Défense. Enfin, j'ai été recruté en tant que maître de Conférences à l'Université de Bretagne Occidentale l'année dernière.
2- Votre sujet de thèse comble une lacune historiographique en réévaluant la stratégie navale de la République. Quelles sources et méthodologies avez-vous mobilisées pour mener vos recherches ?
C'est une formulation flatteuse, j'espère qu'elle est au moins en partie vraie. Le paradoxe, c'est que j'ai en réalité utilisé majoritairement des sources très traditionnelles, comme les documents opérationnels conservés dans la série BB4 du Service historique de la Défense de Vincennes. Mais en réalité ces sources n'avaient que très peu été traitées de manière scientifique, et sans parti-pris idéologique trop marqué. J'ai essayé de repartir des réalités de la mer, avec ses permanences qui ignorent les ruptures politiques. J'ai aussi prêté beaucoup d'intérêt au rapport de force matériel, qui explique en réalité très largement et prosaïquement les réalités stratégiques de la période, loin des échafaudages philosophiques et politiques souvent mis en avant. J'ai aussi procédé, là aussi classiquement, à un croisement des sources et des historiographies à l'échelle internationale. Là encore, ces méthodes simples ont donné des résultats importants car la période fait encore l'objet d'un cloisonnement national et linguistique majeur, avec des chercheurs anglophones qui ne s'intéressent pas toujours aux sources et aux travaux en français, y compris à propos de périodes pourtant centrales comme la Révolution.
3- Quels sont les enjeux maritimes au cœur de la Révolution ?
La singularité de la période de la Révolution en France, d'un point de vue maritime, c'est qu'elle fait suite à une période où chacun, même à l'école, a appris que la mer était centrale, mais que ces réalités semblent disparaître dans la mémoire commune et même dans certains manuels pour la décennie révolutionnaire. En effet, si chacun a en tête l'importance des espaces maritimes pour la guerre d'Indépendance américaine, ou pour le commerce triangulaire, les espaces liquides semblent s'effacer au moment de la révolution. Dans le secondaire, quand j'y enseignais, j'étais frappé par l'effet de zoom : le cours passait de réflexions sur le commerce à l'échelle atlantique pour passer à l'étude d'un cahier de doléances de 1789, souvent dans un village de la France intérieure. Hors, les contemporains n'ont évidemment pas conscience qu'ils s'apprêtent à changer d'époque et la France révolutionnaire est toujours une société du XVIIIe siècle, où la mer et les océans sont fondamentaux. Avec l'entrée en guerre contre la Grande Bretagne, en 1793, la flotte française se trouve au premier plan, et si elle échoue à protéger le commerce français, elle pose de graves difficultés aux Britanniques. Surtout, elle n'a jamais été délaissée par l'autorité politique, par des hommes qui avaient connu la guerre d'Indépendance américaine et souvent la guerre de Sept ans, et qui donc étaient pleinement conscients de l'importance d'une force navale. Mais face à une coalition qui regroupe la Grande-Bretagne, l'Espagne ancienne alliée, la Hollande, mais aussi la Russie, il était particulièrement ardu de triompher. De plus les arrières pays et les bases de la marine sont particulièrement touchées par l'insurrection de leurs arrières pays : perte de Toulon en 1793, mais aussi chouannerie en Bretagne et bien sûr insurrection vendéenne.
4- L’attribution en 2024 du Prix d’Histoire militaire du ministère des Armées pour votre thèse parachève l’aboutissement de nombreuses années de recherche. Quels sont désormais vos futurs projets de recherche ? Sont-ils en lien avec la politique et la stratégie navale sur laquelle vous avez réalisé votre thèse ?
En effet, ce prix vient couronner à mes yeux le soutien de l'institution militaire à mes travaux, et ce soutien ne s'est jamais démenti : j'ai été touché par l'intérêt de l'institution et de ses personnels pour leur propre histoire. La politique historique du ministère m'apparaît aujourd'hui exemplaire et j'espère qu'elle se poursuivra. Quant à moi, je voudrais, tout en continuant à faire de l'histoire militaire et navale, infléchir mon propos vers les hommes. Pour ma thèse, je me suis intéressé aux décideurs, aux élites et j’ai passé des heures sur les procès verbaux du Conseil exécutif, les compte rendus des ministres, la correspondance des amiraux… Maintenant, j’aimerais me rapprocher des marins pour proposer une histoire "par en bas", autour des mutineries, notamment.