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Portrait de Gaël Bay, lauréat du Prix d'histoire militaire de la catégorie Master 2 de 2024 financé par le ministère des Armées #interview 2

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Du 28 avril au 27 juin 2025, campagne de candidature pour le Prix d'histoire militaire 2025

À l’occasion de la campagne de candidature pour le Prix d’histoire militaire 2025, le ministère des Armées a rencontré Monsieur Gaël Bay, lauréat du Prix d’Histoire militaire de l’édition 2024 pour son mémoire intitulé « L’expédition de Madagascar : un désastre programmé ? Un contre-exemple d’art opératif. 1894-1895 » sous la direction de Monsieur Jean – François Klein à l’Université de Bretagne Sud.

 

1 – Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et universitaire, ainsi que les raisons qui vous ont incité à choisir l’expédition française à Madagascar de 1894-1895 comme thème de recherche ?

Mon premier contact avec le monde universitaire a été une licence d’histoire à l’Université de Bretagne-Sud de Lorient. J’ai poursuivi mon parcours dans la même université par un master recherche, au cours duquel j’ai rédigé mon mémoire sur l’expédition française à Madagascar. Après ce premier master, j’ai rejoint l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, dans le master 2 Expertise des Conflits Armés.

En ce qui concerne le choix de mon sujet, je savais depuis longtemps que l’histoire militaire était ce qui m’intéressait le plus. Un de mes autres critères était de travailler sur un sujet « de niche ». Mon directeur de recherche, M. Jean-François Klein, m’a alors proposé la deuxième expédition française à Madagascar, ayant lui-même étudié la première par le biais de l’action du capitaine Pennequin, dont il a rédigé une biographie. Ce sujet m’a tout de suite plu. Il est à l’intersection de deux angles morts : Madagascar est peu étudiée en histoire coloniale, et les conflits coloniaux sont délaissés en histoire militaire, même s’ils font l’objet d’un réinvestissement par des historiens comme Jacques Frémeaux et sa synthèse sur le sujet.

2 – Quelles sont les défaillances opérationnelles de l’expédition française à Madagascar de 1894-1895 ?

Le titre de mon mémoire L’expédition de Madagascar : un désastre programmé ? pourrait inciter à penser que les défauts sont liés à un manque de préparation française. Ce serait inexact : les Français sont victimes d’une mauvaise préparation. Le ministère de la Guerre a insisté pour mener cette expédition, et donc la préparer. Or, le ministre d’alors, le général Mercier, n’a eu d’expérience outre-mer qu’au Mexique, et c’est lui qui prend la plupart des décisions. Le général Duchesne mène une campagne selon un plan qu’il n’a pas préparé. Presque toutes les difficultés à venir y trouvent leur origine.

Les principales difficultés sont d’ordre logistique et sanitaires. Le corps expéditionnaire français, de 15 000 militaires et 7 000 conducteurs de mulets recrutés dans tout l’empire français. Les Français ont fait le choix de charrettes métalliques, les voitures Lefebvre, ne pouvant recruter assez de porteurs ou de mulets de bât. Pour que ces voitures atteignent Tananarive, elles doivent parcourir 450 kilomètres et franchir deux massifs de moyenne altitude. Les travaux d’aménagements d’une route carrossable sont donc colossaux ! Une grande partie des troupes françaises est donc affectée aux travaux de route. Outre le ralentissement conséquent à la progression, la tâche est harassante et les hommes se fatiguent vite. Aussi, ils restent longtemps dans la région du nord-ouest de Madagascar, le Boeny, où se trouvent de nombreux marécages. Ceux-ci sont chargés de moustiques, et une large majorité du corps expéditionnaire contracte le paludisme. Le corps expéditionnaire perd presque toute sa force combattante : les soldats européens, surtout les métropolitains du 200e régiment d’infanterie, résistent moins bien aux maladies en raison d’un manque d’habitude et d’un manque de discipline dans l’application des consignes de prophylaxie. A la fin de la campagne, 5 757 hommes sont déclarés morts – ce qui semble être sous-estimé –, dont 20 au combat. Les malades sont bien plus nombreux : le 200e régiment d’infanterie est réduit à un peu plus d’une compagnie, le 40e bataillon de chasseurs alpins est inexistant…

Ces pertes et ces malades entraînent une longue descente aux enfers pour les hommes du corps expéditionnaire. Les forces morales du corps expéditionnaire le quittent peu à peu, et l’avancée ralentit. Le général Duchesne termine la campagne en montant une « colonne volante ». Il rassemble une force plus réduite avec les seuls valide. Il fonce vers Tananarive en se coupant de ses lignes logistiques. En deux semaines, il prend la capitale presque sans coup férir.

3 – Quelles sources et méthodes spécifiques avez-vous utilisées pour mener vos recherches et quels ont été les principaux défis rencontrés dans votre étude de cette campagne ?

A l’inverse de la bibliographie, les sources concernant cette campagne sont nombreuses, et de manière générale sont en très bon état, témoignant du travail de conservation ainsi que du désintérêt pour la campagne. J’avais la chance de disposer à Lorient des archives de la Division Navale de l’océan Indien, c’est-à-dire la force de la Marine française basée à Diégo-Suarez, à Madagascar. Je n’ai pas hésité à les exploiter, d’autant plus qu’aucun des travaux sur la campagne n’a exploité ce corpus. Les lettres du commandant de la Marine à Madagascar sont intéressantes car il s’agit de la plus haute autorité militaire sur l’île jusqu’à la campagne, et, bien qu’il soit renseigné sur l’île, il n’est pas écouté.

L’autre grand corpus de sources est composé des archives du corps expéditionnaire et de ses relations avec le ministère de la Guerre, regroupées dans la sous-série GR 8 H. Ces archives ont été plus exploitées que celles de la Division Navale de l’océan Indien. J’aurais aimé utiliser plus d’archives centrales de la Marine, qui m’aurait permis d’avoir plus de détail sur les décisions qui y sont prises. Je n’ai trouvé qu’un carton contenant un rapport sur le rôle de la Division Navale de l’océan Indien, qui ne détaillait aucunement le rôle de la Marine dans la préparation de l’expédition, et qui est pourtant un des aspects les plus polémiques au moment de l’expédition.

Le principal défi au cours de mon travail a été la barrière de la distance et de la langue : les archives malgaches, que j’aurais aimé étudier, sont à Antananarivo, et en langue malgache, que je ne parle pas. Je n’ai pas trouvé beaucoup de lettres interceptées par le corps expéditionnaire dans les archives françaises, qui auraient pu être traduites. Mon travail porte donc bien sur l’expédition française à Madagascar et pas sur la deuxième guerre franco-malgache en entier, puisque je ne pouvais exposer la perspective merina.

4 – L’étude de l’expédition de Madagascar vous a permis de mettre en évidence des aspects méconnus de l’histoire militaire française. Quels sont vos projets de recherche futurs ? Allez-vous continuer à explorer les guerres coloniales françaises ?

La campagne de Madagascar m’a intéressé à des thématiques de recherches que j’aimerais désormais poursuivre : l’histoire des opérations interarmées, des opérations amphibies, et des opérations expéditionnaires en général. Ces thématiques sont communes à beaucoup de guerres coloniales, puisque ce sont des guerres ultramarines.

Je ne pense pas travailler sur les guerres coloniales en tant que telles, mais j’aimerais étudier le lien entre elles, et les conflits plus récents. La France a développé une vraie capacité de projection de force (dont la campagne de Madagascar est un mauvais exemple), qui a subsisté malgré de multiples transformations. J’espère pouvoir effectuer une thèse sur le sujet, entre autres parce la logistique y tient une place centrale.