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Portrait de Christophe Pommier, lauréat du Prix d'histoire militaire 2021 financé par le ministère des Armées #Interview 2

Christophe Pommier, lauréat du Prix d’histoire militaire 2021 © C.Pommier

Jeudi 7 avril 2022

À l'occasion du lancement de l'édition 2022 du Prix d'histoire militaire à la mi-avril, le ministère des Armées a rencontré Christophe Pommier, lauréat du Prix d'histoire militaire de l'édition 2021, grâce à sa thèse : " Innovation et artillerie en France (1852-1914). Une radicale transformation technologique de l’armement au regard de l'histoire de l’innovation " soutenu à l’université Paris Sorbonne 4 sous la direction du professeur Pascal Griset.

1 - Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire et académique, ainsi que les raisons qui vous ont incité à choisir un sujet de thèse en lien avec l’innovation et l’artillerie en France ? et plus particulièrement pour la période entre le Second Empire et la Première Guerre mondiale ?

Après une licence d’Histoire obtenue en 2005 à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, je me suis dirigé vers un master professionnel en gestion de projets culturels (le master SACIM de l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines) dont je suis sorti diplômé en 2007. Après un stage au musée de l’Armée, j’ai intégré à l’issue de mon master son département artillerie tout d’abord comme assistant de conservation puis en tant qu’adjoint au conservateur depuis 2016.

L’étude des collections du département et les vérifications historiques et techniques menées dans le cadre de mon travail m’ont conduit à effectuer plusieurs recherches sur l’évolution de l’artillerie aux XIXe et XXe siècles. J’en suis arrivé à vouloir entamer un travail de thèse axé sur l’évolution de l’artillerie avant 1914. J’avais été marqué par de nombreuses lectures ; les unes portant sur les matériels d’artillerie novateurs des belligérants, les autres sur la surprise de l’importance des pertes humaines dues au feu de l’artillerie durant l’été 1914. Ce contraste – perfectionnements de l’artillerie d’une part, surprise devant les pertes humaines de l’autre – restait sans réponse satisfaisante à mes yeux : il a été mon premier questionnement – d’autres sont venus par la suite.

Sur les conseils du professeur Jacques Frémeaux, ancien administrateur du musée de l’Armée, j’ai contacté le professeur Pascal Griset (Sorbonne université) afin de lui exposer mon projet de recherche. C’est ainsi que j’ai intégré l’UMR Sirice et le centre de recherche en histoire de l’innovation initié par François Caron, dont les axes de recherches, mêlant histoire économique, histoire industrielle, l’histoire des grands réseaux techniques, histoire des sciences ou encore histoire des entreprises, ont fait évoluer l’histoire des techniques vers l’histoire de l’innovation.

 

2 - En quoi la période 1852-1914 fut cruciale dans l’innovation militaire et plus particulièrement concernant l’artillerie ?

Pour les trois principales puissances militaires d’Europe occidentale, la quarantaine d’années qui sépare la guerre franco-allemande de 1870-1871 de l’année 1914 est marquée par une industrialisation croissante, en particulier dans les secteurs de la chimie et de la sidérurgie. L’accroissement des connaissances dans ces domaines et leurs maîtrises de conception permettent au domaine de l’armement, et plus particulièrement celui de l’artillerie, de connaître plusieurs innovations majeures.

En effet, nonobstant quelques améliorations notables, les artilleries en usage au milieu du XIXe siècle en Europe restent techniquement très proches de celles de la fin du Moyen Âge. Ainsi, les tubes sont toujours fabriqués en bronze, dotés d’une âme lisse et placés sur des affûts rigides principalement réalisés en bois ; de même, le chargement des projectiles s’effectue encore par la bouche. Le canon est la pièce d’artillerie par excellence et, à ce titre, le projectile le plus employé est le boulet métallique plein – n’ayant pour effet que le seul choc à l’impact – dont la généralisation date des années 1470.

Au contact d’un environnement technique et militaire propice, la seconde moitié du XIXe siècle est marquée par une série d’innovations qui bouleverse l’artillerie. De fait, au début du XXe siècle, les artilleries occidentales sont équipées de matériels entièrement novateurs en comparaison de ceux dont elles étaient dotées une cinquantaine d’années auparavant. Ainsi, l’acier a très largement supplanté le bronze et le bois dans la réalisation des tubes et affûts, ces derniers étant équipés d’un système de compensation du recul autorisant une cadence de tir bien plus soutenue. Les tubes sont dotés d’une âme rayée et d’un système de chargement par la culasse, permettant un accroissement certain de leur rayon d’action. Enfin, l’abandon de la poudre noire au profit de nouveaux explosifs et le développement de nouveaux projectiles ont précipité l’abandon du boulet sphérique au profit d’obus cylindro-ogivaux explosifs ou à balles à forte létalité.

Pour ce faire, la direction de l’Artillerie peut compter sur différents acteurs pour conduire les processus de l’innovation. Leur organisation évolue fortement après 1871, date à partir de laquelle, en outre, les échanges sont de plus en plus profonds et fructueux avec l’industrie privée.

 

3 - Quelles sont les raisons du retard technique et technologique de l’armée française en 1914 ? Comment l’armée française comble-t-elle rapidement ce déficit au cours de la guerre ?

On ne peut pas vraiment parler de retard technique et technologique français en 1914. Les innovations en matière d’artillerie y sont maîtrisées et appliquées pour ce qui est de l’artillerie de campagne. Leur déploiement à d’autres artillerie que celle de campagne est très inégal car entravé par des considérations d’ordre doctrinal, notamment en ce qui concerne l’artillerie lourde. Sur les plans tactiques et stratégiques, le conservatisme général du commandement et ses doutes, mêlés de déni, quant aux effets létaux de l’armement empêchent ces innovations d’avoir une incidence forte et rapide dans les règlements militaires : le potentiel destructeur de la mélinite, le changement d’apparence du champ de bataille dû aux poudres sans fumée et sa saturation en projectiles par l’action généralisée d’une artillerie à tir rapide restent relativement méconnus des états-majors européens.

La principale conséquence de cette inadaptation doctrinale se traduit par les lourdes pertes humaines du début de la Première Guerre mondiale, qui sont dues aux trois-quarts aux projectiles de l’artillerie. Toutefois, les travaux avortés du début des années 1900-1910 ne sont pas sans lendemains : le changement d’opinion quant à la création d’une artillerie lourde de campagne, s’il ne porte pas l’intégralité de ses fruits à l’été 1914, permet à l’armée française de pouvoir constamment compter sur l’arrivée de nouveaux matériels lourds au cours des années 1914, 1915, 1916 et 1917. En effet, les différentes pièces d’artillerie déployés dans les armées au cours de ces années de guerre proviennent de ces études, que ce soit par les établissements de l’Artillerie ou par l’industrie privée.

 

4 - L’attribution en 2021 du Prix d’histoire militaire du ministère des Armées pour votre thèse parachève l’aboutissement de nombreuses années de recherche. Quels sont désormais vos futurs projets de recherche ? Sont-ils en lien avec l’artillerie et l’innovation ?

Je continue mes recherches sur l’histoire de l’armement – en particulier l’artillerie – du point de vue de l’histoire de l’innovation en explorant un spectre chronologique plus large, de l’Ancien régime à nos jours en fonction des opportunités offertes par les sources, qu’elles soient textuelles ou matérielles. Je travaille également depuis plusieurs années sur trois autres thématiques ; la guerre de 1870-1871, la Commune de Paris et la valorisation des patrimoines militaires ; que je ne compte pas laisser de côté.

D’autre part, mes travaux de recherches sont aussi guidés par les projets qui me sont confiés au musée de l’Armée. Après avoir assuré le commissariat des expositions France-Allemagne(s), 1870-1871 : la guerre, la Commune, les mémoires en 2017 et Les armes savantes : 350 ans d’innovations militaires à Versailles en 2018, je travaille aujourd’hui à l’exposition Toute une histoire ! Les collections du musée de l’Armée qui se tiendra de mai à septembre 2022. L’histoire de la constitution des très riches et très éclectiques collections du musée est un sujet de recherche très intéressants qui emmène bien au-delà de l’histoire du musée – déjà passionnante en elle-même.

Enfin, dans le cadre du projet de modernisation et d’extension du musée qui s’étend jusqu’en 2030, je commence à travailler sur la Guerre froide – en particulier en ce qui concerne les aspects liés à l’arme nucléaire – afin de préparer les futurs espaces qui seront consacrés à la période de 1945 à nos jours.

En savoir plus sur Christophe Pommier

 

Rattachée au secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées, la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DMPA) a pour mission d’entretenir le lien avec le monde la recherche historique et d’assurer sa cohérence au sein du ministère des Armées. Elle assure aussi le secrétariat du conseil scientifique de la recherche historique de la défense (CSRHD) qui attribue annuellement des aides à la recherche à l’attention de doctorants et le Prix d’histoire militaire (master 2 et doctorat).

Publié le 07 avril 2022