Rencontre avec Paul Lenormand lauréat du Prix d'histoire militaire 2020 #Focus
Le 6 mai 2021 - Prix d'histoire militaire
À l'occasion du lancement de l'édition 2021 du Prix d'histoire militaire, le ministère des Armées a rencontré Paul Lenormand, lauréat de l’édition 2020 du Prix d’histoire militaire , pour sa thèse de doctorat intitulée « Vers l’armée du peuple. Autorité, pouvoir et culture militaire en Tchécoslovaquie de Munich à la fin du stalinisme » soutenu à l’institut d’études politiques de Paris sous la direction des professeurs Guillaume Piketty et Antoine Marès.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire et académique, ainsi que les raisons qui vous ont incité à choisir un sujet de thèse en lien avec la Tchécoslovaquie ?
Ayant grandi à Fécamp, en Normandie, j’ai rejoint Paris pour une année de classe préparatoire aux Grandes écoles (CPGE), ce qui m’a permis de rentrer à Sciences Po Paris. J’ai alors choisi le campus de Dijon, spécialisé dans l’étude de l’Europe centrale et orientale. Je ne connaissais que peu de choses sur l’espace entre Allemagne et monde russe, et ce passage par la Bourgogne m’a permis de débuter l’apprentissage du tchèque, que j’ai poursuivi à Prague l’année suivante. Par la suite, un Master de recherche en histoire à Sciences Po a été l’occasion de me pencher sur des archives, au cours d’un premier séjour de recherches en République tchèque. Mon attrait pour l’Europe centrale (ou médiane) ne s’est pas démenti depuis, et Guillaume Piketty, le directeur de mon mémoire consacré à l’armée tchécoslovaque en France en 1939-1940, a bien voulu me soutenir et m’accompagner durant ma thèse. Sa rigueur et son expertise en histoire de la guerre me furent d’un grand secours. Le professeur Antoine Marès (Paris Panthéon-Sorbonne) m’a également dirigé, me faisant bénéficier de sa fine connaissance de la Tchécoslovaquie au XXe siècle.
Pendant la durée de votre thèse, vous avez effectué des séjours d’enseignement et de la recherche à l’étranger, notamment à l’université de Yale aux Etats-Unis auprès de Timothy Snyder, l’un des grands spécialistes mondiaux de l’Europe centrale et orientale et aussi à Prague ou Bratislava. En quoi ces divers séjours ont-ils influencé votre travail de thèse ?
Si la France dispose d’excellents chercheurs et chercheuses de l’Europe centrale et orientale, le fait de partir pour des durées parfois longues (un an) m’a offert deux possibilités essentielles : d’une part, consulter des archives nombreuses et variées, à la fois à l’échelle locale (en Slovaquie notamment) et globale, surtout aux Etats-Unis où les collections sont d’une immense richesse sur les sujets les plus divers (par exemple à la Hoover Institution de Stanford) ; d’autre part, rencontrer de nombreux spécialistes de l’espace que j’étudiais. En effet, l’historiographie nord-américaine est très riche, en raison de l’intérêt porté à l’Europe communiste depuis la Guerre froide. En étant sur place, j’ai pu enseigner comme teaching fellow pour Timothy Snyder, et participer à des conférences passionnantes à Princeton ou Columbia. Du côté tchèque et slovaque, j’ai pu avoir un accès libre et pratiquement illimité aux archives des années 1930-1960, ce qui me semble très sain et profitable – l’option de l’ouverture des archives est généralement privilégiée, gage de transparence démocratique dans un pays où le passé guerrier et/ou communiste suscite des débats quelquefois très clivant. Dans ce contexte, la présence d’un jeune chercheur « étranger » tchécophone était perçue comme plutôt flatteuse par les archivistes ou les historiens, même si j’ai parfois senti que mon intérêt pour l’histoire centre-européenne suscitait étonnement ou perplexité… Globalement, décentrer le regard en partant voir ce qui s’écrit et se fait ailleurs est tout aussi salutaire que gratifiant, du point de vue de l’enseignement et de la recherche.
Votre thèse intéresse la Tchécoslovaquie. En quoi ce pays et son armée peuvent-ils être considérés pendant la période que vous étudiez mais aussi plus globalement au cours du XXe siècle comme une sorte de laboratoire ou de métaphore de l’histoire de l’Europe ?
Il est vrai que la Tchécoslovaquie est souvent présentée comme un laboratoire ou un sismographe de l’Europe centrale, voire de l’Europe tout court. C’est vrai par bien des aspects, de l’essor du nationalisme à la guerre et aux crises de la Guerre froide. D’un autre côté, il y a souvent « exception tchécoslovaque » : régime démocratique jusqu’en 1938, annexion sans combats en 1939, puis occupation de très longue durée, adhésion populaire initiale assez importante au Parti communiste, etc. Du côté des forces armées tchécoslovaques, d’ailleurs multinationales, ce qui ressort, c’est leur imbrication dans des réseaux d’alliances internationales (France, Grande-Bretagne, URSS), et des trajectoires véritablement transnationales – des soldats austro-hongrois de la Première Guerre mondiale, devenus tchécoslovaques combattent sous divers commandements pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de prendre place dans une armée prosoviétique et communiste, circulant sur divers fronts et en plusieurs langues. Il existe bien des parcours peu linéaires, qui montrent la diversité des choix effectués par les militaires « tchécoslovaques ». Ce qui, à mes yeux, donne un caractère plus large à cette étude sur la création d’une armée communiste, c’est qu’une armée reste une armée. Même loyale au Parti communiste et à l’Union soviétique, l’armée populaire tchécoslovaque fait face à des problématiques propres à l’institution militaire en sortie de guerre et en phase de transition politique : comment exercer l’autorité, comment encadrer et éduquer les appelés, quelle place accorder aux nationalités minoritaires et au fait religieux, que faire des cadres d’ancien régime, quelles compétences privilégier, comment préserver une autonomie face au pouvoir politique et au patronage soviétique/du Pacte de Varsovie, comment préparer la guerre en contexte atomique…
L’attribution en 2020 du Prix d’histoire militaire du ministère des Armées pour votre thèse parachève l’aboutissement de nombreuses années de recherche. Quels sont désormais vos futurs projets de recherche ? Sont-ils en lien avec les Pays tchèques et slovaques ? La Guerre froide ?
Ce prix représente en effet une reconnaissance académique pour moi, et me permet en retour d’exprimer ma gratitude envers celles et ceux qui m’ont fait confiance, encadré, soutenu, accompagné dans les vicissitudes du cheminement doctoral. Mon épouse est au premier rang et fut en première ligne, et mes facétieux enfants furent d’un grand soutien moral… Mais la recherche continue. Je dois d’abord publier une version abrégée de la thèse chez Passés / Composés, tout en assurant mes autres missions de recherche au Service historique de la Défense. Avec mes collègues, nous organisons des colloques et journées d’études, nous publions des articles universitaires et nous développons des projets avec des partenaires extérieurs, afin d’irriguer les travaux au sein du ministère des Armées. Nous menons notamment un projet avec Oxford, l’IEP d’Aix, l’Université Aix-Marseille et le CICR, consacré aux pertes en temps de guerre. Dans ce cadre, je m’intéresse aux blessures de guerre et aux expertises médico-légales, une façon aussi d’élargir mes connaissances en histoire des sciences et mes perspectives sur la guerre. Par ailleurs, je souhaite poursuivre mes recherches sur les armées communistes, qui loin d’être de simples reliques du passé, demeurent bien présentes aujourd’hui – à commencer par l’armée populaire chinoise. Leur fonctionnement est complexe et trop peu étudié. L’espace communiste européen demeurerait un terrain privilégié, notamment pour la période de Guerre froide. Il s’agit tout de même de mieux connaître des acteurs essentiels des relations internationales et des conflits militaires contemporains. Et bien entendu, je souhaite continuer à enseigner l’histoire contemporaine au service des armées et/ou des étudiantes et étudiants de l’université !
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Publié le 6 mai 2021