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Un Lalique au ministère de la Défense ? Le décor de l’École nationale supérieure de l’Aéronautique

© - Ministère de la Défense, Typhaine Ameil

21 janvier 2016

Les opérations de déménagement du ministère à Balard ont conduit certains services à s’installer dans des bâtiments anciens, comme celui de l’École nationale supérieure de l’Aéronautique, boulevard Victor.  Chef d’œuvre « art déco », ce bâtiment abrite en son sein des panneaux de verre gravé à motifs de nuages attribués à Lalique.

 

L’École nationale supérieure de l’aéronautique

Une « École supérieure d’aéronautique et de construction mécanique » est fondée par Jean-Baptiste Roche dès 1909. Son objectif est de délivrer un enseignement technique de qualité dans le domaine, alors très jeune, de l’aviation. Le 21 mai 1930, l’École est nationalisée. Elle devient l’École nationale supérieure de l’aéronautique (ENSA). Deux ans auparavant, la création du ministère de l’Air, dirigé par Laurent Eynac, avait entériné la reconnaissance du domaine aérien et la nécessité d’un suivi administratif spécifique. Il est alors décidé de construire un nouveau bâtiment pour abriter l’école nationale à l’étroit dans ses locaux de la rue de Clignancourt.

Le choix du site se porte rapidement sur les anciens bastions arasés de l’enceinte de Paris, à proximité immédiate de la plaine d’Issy. En effet, cette zone était déjà un haut lieu de l’aviation.

Un concours est ouvert en 1928 pour la construction de cette nouvelle école à l’angle du boulevard Victor et de l’avenue de la Porte de Sèvres. Il est remporté par l’architecte Léon Tissier, assisté de l’entrepreneur Le Bomin. La première pierre du bâtiment est posée le 28 juin 1930 par Laurent Eynac. Le 17 décembre 1932, la nouvelle école flambant neuve est officiellement inaugurée. Bien plus, dès l’origine, une partie du bâtiment était réservée à l’exposition des collections du musée de l’Aéronautique.

Mais, dès 1940, l’école est transférée à Toulouse. Après la Libération, elle réintègre le bâtiment du boulevard Victor avant de retourner définitivement dans la  « ville rose » en 1968. L’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) succède alors à l’ENSA dans le bâtiment. Cette dernière quittera les lieux en 2012 pour Massy-Palaiseau afin de laisser la place aux services du ministère de la Défense dans le cadre du projet Balard.

 

Un chef d’œuvre de Léon Tissier….

Léon Tissier (1876-1943) signe ici un de ses chefs-d’œuvre. Né en 1876 d’un père fabricant d’articles de voyages, il entre en 1897 à l’École des Beaux-Arts après un diplôme à l’école spéciale d’architecture. Il fut l’élève de Paul Laynaud et de Gustave Raulin et devient architecte D.P.L.G en 1910.

Il commence à produire rapidement, même si sa carrière est un temps interrompue par la Première Guerre mondiale dont il sortira décorer d’une croix de guerre. En 1913, il réalise un splendide immeuble d’habitation au 67, boulevard Raspail. Cet immeuble de tendance « art nouveau » montre pourtant des éléments que l’on retrouvera dans l’École nationale supérieure de l’aéronautique : les sculptures, déjà d’Henri Bouchard, aux inflexions clairement néoclassiques ; la place donnée à la ferronnerie ouvragée ; le caractère rationnel de l’organisation interne lisible en façade. En effet, suivant en cela la leçon des maîtres de l’architecture de la fin du XIXe siècle, comme Viollet-le-Duc, Léon Tissier montre sur sa façade l’organisation de son école. Ainsi le bâtiment des amphithéâtres sur la rue est signifié par ses fenêtres décroissantes, tandis que la bibliothèque est manifestée à l’extérieur par une rotonde ou que l’escalier d’honneur est visible par un fenêtrage suivant l’inclinaison des volées.

La façade de l’école en brique claire est ornée dans sa partie supérieure de bas-reliefs d’Henri Bouchard, que l’on retrouvait déjà boulevard Raspail.  Dans un style néoclassique mais néanmoins résolument moderne, caractéristique de l’art déco, Bouchard représente les différents enseignements (dessin industriel, contrôle des matériaux, pilotage…)

 

… En collaboration avec René Lalique ?

Pour son école, Tissier s’entoure d’artistes avec lequel il a déjà collaboré. On retrouve par exemple Bouchard sur un chantier précédent : l’église de Sauchy-Lestrée (Pas-de-Calais), Bouchard y modèle les bas-reliefs du chemin de croix qui seront réalisés en verre par Lalique. Le nom de Lalique se trouve ainsi associé au décor de l’ENSA, même si aujourd’hui aucun document d’archives ne vient étayer cette collaboration.

Il existe pourtant de nombreux points de comparaison entre les travaux de Lalique et le décor de l’ENSA.

La porte d’entrée monumentale par exemple offre ainsi de nombreux parallèles avec des réalisations du maître verrier malgré les transformations du temps. La forme de portique monumental avec des piédroits en céramique colorée (la porte de l’école, à l’angle du boulevard Victor et de l’avenue de la Porte d’Issy, a perdu ce décor mais pas celle du musée de l’Aéronautique sur le boulevard Victor) se retrouve sur la porte du magasin Worth de Cannes.

A l’origine, cette porte comprenait un décor vitré plus complexe que celui visible aujourd’hui. Le centre de la porte était occupé par de vastes panneaux à motifs de nuages, panneaux que l’on retrouvait également sur les fenêtres des amphithéâtres et qui sont aujourd’hui, pour certains, remontés à l’intérieur. Le reste de la porte état composé d’éléments de ferronnerie affectant la forme d’ailes repliés incrustés d’éléments de verre plus épais, technique régulièrement employée par René Lalique.

 

Le ministère de la Défense conserve donc aujourd’hui  une œuvre emblématique de l’art déco et du temps des grands développements de l’aviation.


Texte de Thomas Deshayes, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives

 

Pour aller plus loin :

Retrouvez de nombreuses informations dans le nouvel ouvrage coédité par le Ministère de la Défense (DMPA) et les Editions Tallandier : Balard, sous la direction de Nicolas Chaudun.

 

Sources :

-          Portail Hisis : Histoire de l’école nationale supérieure de l’aéronautique. : http://bibliotheques.isae.fr/fr/patrimoine/hisis.html

-          Dictionnaire des élèves architectes de l’École des beaux-arts (1800-1968), INHA : http://www.purl.org/inha/agorha/001/7

-          Marcilhac, Félix, « René Lalique, 1860-1945, maître-verrier, analyse de l’œuvre et catalogue raisonné », Paris, Editions de l’Amateur, 2004

-          « Encyclopédie de l’architecture. Constructions modernes », Paris, Albert Morancé (Ed.), T.11, vers 1935. (les photos qui suivent en sont extraites)

 

Vue d'ensemble du bâtiment de l'ENSAEntrée principale de l'ENSAEntrée latérale de l'ENSA